1.
Le 11 septembre

 2.1.
Jour 1
le 11 septembre

 2.2.5.
Jour 2: 12/9
Gérer l'inattendu

 

 2.3.
Jour 3
le 13 septembre

 3.
Une aventure
humaine


 

Vingt-quatre heures après l’attaque du World Trade Center, il y avait encore des passagers à bord d’une poignée d’avions à Gander qui attendaient d’être pris en charge par les autorités canadiennes. Malgré le retard, les 116 personnes à bord du Vol A5 de Continental Airlines de Londres à Houston étaient de très bonne humeur. Cela s’explique en grande partie par trois facteurs. Premièrement, tout le monde a reconnu qu’à la lumière des événements tragiques aux États-Unis, ils n’avaient pas le droit de se plaindre. Deuxièmement, ils ont compris que les ronchonnements ne serviraient de toute façon à rien et qu’ils faisaient mieux de tirer le meilleur parti du déroutement de leur avion. Troisièmement, les agents de bord avaient déverrouillé les chariots d’alcool et laissaient chacun se servir à volonté et … gratuitement.

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Une fois le soleil couché mardi, s’est développée dans l’avion une ambiance «cocktail aux Nations Unies» avec des passagers se mélangeant, s’entremêlant et … s’imbibant. C’est lors de cette fête improvisée que Deborah Farrar sirota son premier gin-tonic. Pour cette texane de 28 ans, son premier voyage à l’étranger devait été rempli de premières: le but de ces vacances était de prendre des risques, d’expérimenter de nouvelles choses et d’élargir ses horizons; et bien que la raison de sa présence actuelle à Gander soit tragique, elle s’est retrouvée à profiter de la compagnie des autres passagers.

Responsable de publicité dans une société de technologie de l’information à Houston, dix jours plus tôt, elle avait pris congé et s’était envolée pour l’Europe toute seule. Elle s’est rendue à Oslo et Bergen en Norvège pendant les six premiers jours avant de terminer son voyage à Londres. Elle devait retourner au travail plus tard dans la semaine, mais elle se retrouvait maintenant dans un endroit dont elle n’avait jamais entendu parler auparavant et au milieu de quelque chose qu’elle ne savait pas trop comment gérer.

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Le pilote du Vol Continental annonce ce qui s'est passé à New York

Lorsque l’avion avait atterri mardi après-midi et que le pilote avait annoncé ce qui s’était passé à New York, Deborah Farrar était tombée en larmes. Elle voulait parler à sa famille, entendre leurs voix et leur dire qu’elle allait bien, mais aucun des téléphones de l’avion n’avait fonctionné. Finalement, un téléphone portable appartenant à l’un des passagers de première classe avait capté un signal utilisable, et son propriétaire avait laissé tout le monde à bord passer un appel. Une file s’était formée dans l’allée de l’avion et, un par un, les passagers et membres d’équipage avaient pu parler quelques instants à leurs proches à la maison. Cinq heures après l’atterrissage, Deborah avait atteint son père.

Pouvoir appeler à la maison avait eu un effet libérateur sur la plupart des passagers, et la tension naissante à bord de l’avion s’était estompée. Libérés de l’inquiétude que des membres de leur famille s’inquiètent pour eux, ils ne devaient plus que vaincre l’ennui d’être bloqués dans un avion au sol toute une nuit. En plus, personne à bord ne semblait avoir un lien direct avec la tragédie, n’ayant aucun membre de leur famille à New York ou à Washington qui pourrait être porté disparu ou mort. Leur seul lien avec le réel était les bribes de nouvelles qu’ils recevaient.

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Poste de pilotage Vol Continental

À l’intérieur du poste de pilotage, la radio du pilote était branchée sur une station de radio qui diffusait des news sans interruption en provenance des États-Unis. De temps en temps, les passagers se postaient près du cockpit pour l’écouter. Que le pilote s’en soit rendu compte ou non, laisser la porte du cockpit ouverte s’est avéré incroyablement rassurant pour les personnes à bord. Plutôt que de se sentir seuls et isolés, ils savaient qu’ils avaient accès aux dernières nouvelles sans se les faire imposer. C’était à chaque passager de décider dans quelle mesure il voulait être plongé dans les détails des événements de la journée.

Le soir venu, donc, une fois que les agents de bord eurent servi les derniers plateaux-repas, ils décidèrent de sortir les chariots contenant ces merveilleuses bouteilles miniatures d’alcool. Ils les installèrent à l’arrière de l’avion, puis s’éloignèrent. Quelques passagers, pour rire, enfilèrent des tabliers et se transformèrent en barmen. Ainsi, ceux qui voulaient écouter les nouvelles se blottissaient près du poste de pilotage et ceux qui voulaient s’échapper affluaient à l’arrière de l’avion.

L’ambiance a été créée par un groupe de riches pétroliers de première classe. L’un d’eux en particulier, Bill Cash, se sentait particulièrement social. Cash possédait une société participant à la construction de plateformes pétrolières offshore. Il était né en Angleterre, mais avait épousé une fille de l’Alabama, et ils vivaient maintenant à Houston. À 51 ans, Cash était le genre de gars qui pouvait initier une fête juste en entrant dans une pièce. En ce qui le concerne, un avion de ligne échoué était un endroit idéal pour passer un bon moment.

Il n’a pas fallu longtemps pour que lui et Deb deviennent amis. Elle s’est avérée aussi extravertie que lui. Son gin-tonic était l’idée de l’un des associés de Cash et cela lui semblait bon. Quand l’une des hôtesses a entendu que c’était la première fois que Deb en buvait un, elle a couru à la cuisinette de l’avion. De retour quelques instants plus tard, elle posa un morceau de citron vert dans la boisson de Deb et lui a déclaré:

« Vous ne pouvez pas boire votre tout premier gin-tonic sans citron vert. Ce ne serait pas juste. »


Deb a été émerveillée par les différentes personnes qu’elle a rencontrées à ce moment dans l’avion. Deux des femmes avec qui elle s’est liée d’amitié dans l’avion étaient Lana Etherington et Winnie House. La première chose que Deb a remarquée à propos de Winnie, c’est à quel point la jeune femme de 26 ans était belle. Winnie était grande et mince, comme un modèle. Et ses cheveux, noués en tresses, s’étendaient jusqu’au bas de son dos. Née à Asaba, au Nigeria, où son père est le chef de village, Winnie a passé beaucoup de temps à Londres. Parlant couramment l’anglais et sa langue maternelle du peuple Igbo, elle parlait aussi un peu français. Elle a fréquenté l’université en Oklahoma et s’était récemment installée à Houston. Le 11 septembre, elle s’envolait pour Houston après avoir rendu visite à sa sœur à Londres.

Lana est également originaire d’Afrique. Elle a grandi dans ce qui était alors connu sous le nom de Rhodésie et a reçu un diplôme en droit de l’Université de Rhodésie. Elle a quitté l’ancienne colonie britannique en 1980 alors que le gouvernement contrôlé par les Blancs était remplacé par Robert Mugabe, un chef de guérilla devenu dictateur qui a rebaptisé la nation Zimbabwe. Originaire d’Afrique, Lana a déménagé au Moyen-Orient, où elle a travaillé pour la Pan American Airways en tant que secrétaire exécutive. Alors qu’elle vivait à Dubaï pendant cinq ans, elle a épousé un Américain qui travaillait pour une société pétrolière. Ensemble depuis 19 ans, le couple vivait maintenant à Houston avec leurs deux enfants. Le Texas n’a eu aucun impact linguistique sur Lana: elle continue à parler avec un accent britannique.

Deb, Winnie et Lana formaient un trio éclectique: une innocente texane, une princesse nigériane et une mère globe-trotteuse.

Mercredi matin, plus une goutte d’alcool ne restait dans l’avion et la plupart des passagers n’avaient dormi que quelques heures. Le Vol A5 de Continental Airlines fut le 35ème avion à être débarqué. Deb et ses nouvelles amies sont montées dans des autobus scolaires jaunes pour se rendre à l’aérogare, où ils seraient transportés aux douanes canadiennes, puis transmis à la Croix-Rouge pour examen. Vingt-neuf heures et demie s’étaient écoulées entre le moment où ils avaient embarqué à Londres et celui où ils ont finalement quitté l’avion à Gander.

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La ville de Gambo (2.000 habitants env.)

La plupart des refuges de la ville de Gander étaient déjà pleins lorsque les passagers du Vol A5 furent prêts à quitter l’aéroport. Ils ont donc été envoyés à Gambo, une ville de 2.300 habitants située au confluent de la rivière Gander et de la baie Freshwater, à 50 kilomètres le long de la route transcanadienne. C’est l’extrémité sud de la côte pittoresque de Kittiwake, à Terre-Neuve, une série de petits villages de pêcheurs, de criques et d’îles qui s’avancent dans l’Atlantique Nord. La côte de Kittiwake s’étend de Laurenceton jusqu’à Twillingate et l’île Fogo, puis jusqu’à Port Blanchard. À la fin du printemps et au début de l’été, lorsque la calotte polaire commence à se briser, les visiteurs viennent dans la région pour observer les énormes icebergs se jeter dans l’Atlantique.

Pendant près d’un siècle, des années 1860 aux années 1950, Gambo a été le centre des opérations d’exploitation forestière de la région. La récolte quotidienne d’épicéas, de sapins et de pins descendait la rivière jusqu’aux scieries de Gambo, où ils étaient coupés puis chargées sur des wagons. Le Grand Incendie de 1961 a changé tout cela. Des dizaines de milliers d’acres ont pris feu, et avec eux l’économie de Gambo. Tout ce qui reste est un pont de train vide, un rappel du passé historique de la ville.

Alors qu’ils roulaient le long des routes sinueuses menant à Gambo, Lana se rappelait les collines et les vallées du nord de l’Angleterre. C’était tellement pittoresque et rural. Ils sont arrivés à l’église de l’Armée du Salut tôt mercredi après-midi. Il semblait que toute la ville était venue les accueillir. Il y avait un gros pot de ragoût de bœuf et des sandwichs qui attendaient sur une table. Derrière une autre table, il y avait sept femmes en ligne, servant du thé fraîchement infusé dans de petites tasses.

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Gambo
© Photos de Joey's Lookout

À l’intérieur se trouvait une télévision allumée. Mais Deb, Lana et Winnie l’ont ignorée, préférant utiliser les téléphones de l’église pour appeler leurs familles. Lorsque Lana eut fini de parler à son mari, elle remarqua qu’un de ses compagnons de voyage, Mark Cohen, était sorti fumer une cigarette. «Fumeuse de placard» qui cache sa dépendance à ses enfants, Lana s’est jointe à lui. Que ce soit conscient ou non, Lana avait pris la décision de ne pas vouloir se confronter à l’horreur diffusée à la télévision. L’air frais et le soleil chaud sur son visage l’avaient revigorée. Après avoir passé près de trente heures enfermée dans des avions et des bus, la dernière chose qu’elle voulait faire était de s’asseoir à l’intérieur et de regarder les nouvelles. Elle a suggéré à Mark de retrouver Deb et Winnie et d’explorer à quatre un peu la ville. Il a accepté et ils furent bientôt en route.

Leur plan était simple: trouver un pub à Gambo. En marchant sur la route, ils se sont fait remarquer. Après quelques minutes, un fourgon rouge, conduit par un homme qui semblait dans la soixantaine, s’est arrêté à leurs côtés.

- Vous êtes des gens des avions? demanda le chauffeur, George Neal.
Le groupe hocha la tête, ne sachant trop quoi faire.
- Voulez-vous venir prendre un café? proposa-t-il. J’habite juste en bas de la rue. Je peux vous déposer.


Les quatre se regardèrent les uns les autres et par une série de gestes non verbaux discrets – un sourcil levé, quelques petits hochements de tête et un assortiment de grimaces – ils parvinrent rapidement à la conclusion que ce n’était probablement pas une bonne idée de monter dans le van d’un inconnu. En s’excusant poliment, ils ont répondu à George qu’ils voulaient marcher. George a dit qu’il comprenait, mais que s’ils changeaient d’avis, ou s’ils avaient besoin d’un chauffeur à un moment ou un autre, il leur suffisait de passer chez lui. Il a indiqué où il vivait et est parti.

Debout sur la route, ils ont tous ri. Après tout, il doit y avoir au moins une douzaine de films d’horreur qui commencent juste avec ce type de scénario: un groupe d’amis qui font du stop au milieu de nulle part, sont pris en charge par un gentil vieil homme et finissent par lutter pour leur vie. Après avoir marché quelques minutes, ils ont repéré le magasin de la ville. Ils ont mis en commun leur argent – le magasin n’acceptant pas les cartes de crédit – et ils ont acheté de la crème glacée, des chips et de l’eau en bouteille. Ils ont demandé au vendeur à quelle distance se trouvait le pub. La réponse les a surpris. C’était encore à plus de trois kilomètres. Gambo n’avait peut-être pas beaucoup d’habitants, mais le village est long et étroit et serpente le long de la rivière. L’église où les passagers avaient été déposés se trouvait à l’extrémité ouest de la ville, et le pub était du côté est. Le soleil, encore agréable peu de temps auparavant, se faisait maintenant un peu oppressant. Aucun d’entre eux ne voulait se lancer dans une nouvelle randonnée de plusieurs kilomètres par 28°, mais ils ont refusé d’abandonner leur quête de cocktails. Ce qu’ils devaient faire était très clair.

Suivant les indications du conducteur du fourgon rouge, ils se sont approchés d’une grande maison avec des garnitures blanches. Mark plaisanta en disant qu’il les protégerait en cas de problème, et les femmes rirent nerveusement. Elles remarquèrent une femme plus âgée debout dans l’allée de la maison.

- George nous a invités à prendre un café, a dit Deb à la femme âgée.
- Vous devez être les gens de l’avion, répondit la femme en se présentant comme la femme de George, Edna. Entrez, soyez les bienvenus.


George était à l’intérieur et était ravi de les voir. Alors qu’Edna et lui se précipitèrent dans la cuisine, Deb, Lana, Winnie et Mark se sont retrouvés à regarder la télévision à grand écran du couple. Il était tard mercredi après-midi, et pour la première fois ils ont tous vu les images de destruction à New York. Jusqu’à présent, ils avaient réussi à se tenir à l’écart de l’horreur, mais dès qu’ils ont vu les images, la réalité des dernières 24 heures les a submergés, choqués, secoués. Horrifiés. Il n’y avait pas de mots pour décrire ce qu’ils ressentaient. Deb est tombée en larmes dans le salon. Winnie a couru dans la salle de bain pour pleurer. Les autres sont restés là sans voix.

Pour l’instant au moins, la fête était finie.

George avait pris le temps de s’interroger sur le genre de personnes qu’ils étaient, et en était venu à la conclusion qu’il les aimait. Il a demandé à sa femme Edna ce qu’elle en pensait. Elle les aimait aussi. Selon elle, ils semblaient constituer un beau mélange de la jeunesse.

- Pourquoi ne pas leur proposer de rester? suggéra George


Edna a trouvé l’idée splendide.

George n’a pas eu à attendre longtemps pour une réponse. Étant donné le choix entre dormir à même le sol de l’église ou rester dans la maison confortable des Neals, ils ont opté pour la maison confortable. Lana ne pouvait s’empêcher de penser qu’il n’y avait pas d’autre endroit comme celui-ci sur terre… Où un couple inviterait-il quatre étrangers chez eux pour la nuit!

Pour célébrer leurs nouvelles amitiés, ils ont décidé d’aller dîner. Choisir un endroit pour manger n’était pas difficile. Il n’y a qu’un seul restaurant à Gambo: celui de Sheila. George le connaissait bien. Il en était propriétaire. Il l’avait appelé le Roadside Restaurant, puis en 1981, il l’avait vendu à Sheila.

Son menu est typiquement de la cuisine de Terre-Neuve, c’est-à-dire qu’il est principalement composé de morue. Morue cuite au four. Morue grillée. Morue frite. Morue poêlée. Mais tout le monde était heureux de sortir de la maison, heureux d’être loin de la télévision.

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St. George's Anglican Church - Gambo

En plus du Vol Continental 5, des passagers de cinq autres avions avaient été amenés à Gambo. Au total, près de 900 «personnes des avions» se sont retrouvées dans ce hameau reculé. La Society of United Fishermen a ouvert sa salle sociale pour accueillir une centaine de passagers. L’Église protestante en a accueilli 75, l’Église anglicane 140 et les catholiques en ont accueilli une centaine. Au service des pompiers volontaires, les camions de pompiers ont été déplacés à l’extérieur de la station afin que des lits de camp puissent être installés dans les compartiments moteurs pour accueillir 120 personnes. D’autres ont été déplacés à la Smallwood Academy, la seule école de la ville, qui accueillait les enfants de Gambo de la maternelle jusqu’à leurs douze ans.

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St. George's Anglican Church - Gambo

Dans la plupart des maisons, les gens vidaient leurs placards de couvertures et d’oreillers et les transportaient dans divers abris. De nombreux transportèrent aussi des lits ou des matelas d’appoint. Lorsque les habitants apprirent que les passagers n’avaient pas accès à leurs bagages et portaient les mêmes tenues depuis près de deux jours, des piles d’anciens et, dans certains cas, de nouveaux vêtements ont commencé à apparaître comme par magie dans les différents abris. Dans les petites villes voisines de Glovertown et Dover et Hare Bay, les femmes ont décidé de participer en cuisinant des repas, qui ont été livrés chaque jour à Gambo par une caravane de voitures.

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Intérieur de la St. George's Anglican Church
durant l'hébergement des passagers

Tout passager voulant prendre une douche avait seulement besoin de taper sur l’épaule d’un des habitants pour demander. Souvent, ils n’avaient même pas besoin de le faire, car les gens entraient simplement dans l’un des refuges et demandaient à haute voix: «Quelqu’un veut prendre une douche?» Quiconque levait la main pouvait prendre une douche. La plupart des passagers, cependant, prenaient encore leurs repères en ce deuxième soir, et sont restés près de leurs abris respectifs.

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Passagers logés au Fire Department de Gambo

En conséquence, George, Edna, Deb, Lana, Winnie et Mark n’ont eu aucun mal à trouver une table au restaurant. Le seul visage familier qu’ils ont vu appartenait à Bill Cash, le millionnaire texan animé de première classe. Ils ne purent s’empêcher de taquiner Bill au sujet de la chance qu’ils avaient eue en rencontrant George et Edna et de tout le confort dont ils pouvaient jouir en étant hébergés chez eux…

Au moment où le dîner était terminé, ils ont remarqué que Bill avait quitté sa table et s’était blotti contre BillBill. Dans l’espoir d’obtenir une invitation à la maison, Bill a employé tout son charme et ses compétences sociales. Il voulait éviter de dormir sur un lit de camp à la caserne. Le millionnaire avait même imaginé un temps acheter une des maisons vides de Gambo – elles ne coûtaient que quelques milliers de dollars – mais elles n’étaient pas meublées. Bientôt, George demanda aux jeunes si Bill pouvait se joindre à eux. Comment pouvaient-ils refuser? Surtout lorsque Bill a proposé de payer toutes les boissons du pub ce soir-là.

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«Trailway Cabin Lounge» à Gambo

Ils se sont entassés dans le van rouge de George et sont partis. Vers 20 heures, ils ont finalement atteint la terre promise, le Saint Graal de l’excursion du jour: Trailway Cabin Lounge.

Un simple bâtiment en bois sur un terrain en terre battue, le pub avait l’air un peu miteux de l’extérieur.

Winnie n’a rien dit, mais ça lui a rappelé le genre de bars qu’ils ont à la périphérie de Houston et où, comme elle le dit, un noir n’aurait jamais osé entrer.

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«Trailway Cabin Lounge» à Gambo

Winnie ne put s’empêcher de remarquer qu’elle était la seule personne noire de la ville.

LeTrailway Cabin Lounge était normalement en rénovation la semaine du 11 septembre, mais il a été décidé de l’ouvrir quand même en l’honneur des passagers bloqués. Il ont installé un bar temporaire le long d’un mur, le plafond avait été à moitié démoli et l’étage était encore en construction.

Le pub était rempli de gens quand George et ses nouveaux amis sont arrivés. Bill a donné sa carte de crédit au barman et lui a dit de commencer une note pour le groupe. Le jukebox jouait un mélange de rock, de country et de musique terre-neuvienne. À nouveau, tout le monde dans le groupe se sentait bien. Puisque la seule parmi eux qui était célibataire était Deb, les autres ont décidé de jouer aux marieurs et de lui trouver un homme.

- Il faut qu’on te trouve quelqu’un, rit Winnie.


Un pétrolier voyageant en première classe a commencé à draguer Deb, mais elle l’a écarté. Il était un peu trop sûr de lui. Pas son genre. Finalement, elle a repéré quelqu’un. Il mesurait environ un mètre quatre-vingt. Il semblait être au début de la trentaine. Il avait des formes, sans être trop musclé. Une beauté naturelle…

- Vous voyez ce gars là-bas, murmura-t-elle avec un ton conspirateur à Lana et Winnie. Vous ne le trouvez pas mignon?
- Oh oui, dit Lana. Winnie était d’accord.
- Comment allons-nous le faire venir ici?, demanda Lana.
Avant que Deb puisse trouver une réponse, Winnie était debout.
- Regardez, dit-elle aux autres.
Pointant du doigt le gars de l’autre côté de la pièce, elle cria: - Hé, vous, venez ici!


En agitant une main au-dessus de sa tête comme si elle faisait tournoyer un lasso, Winnie a lancé sa corde imaginaire dans la direction du gars et a fait semblant de le tirer. N’ayant pas besoin de beaucoup plus d’encouragement, l’homme se dirigea vers la table. Winnie déplaça une chaise vide entre elle et Deb et lui dit de s’asseoir.

- J’aimerais vous présenter Deborah, a dit Winnie.


Deb rougissait, mais ça ne la dérangeait pas. Il s’appelait Gregory Curtis, un lieutenant de trente et un ans dans les Marines des États-Unis. Il était en route pour la Caroline du Nord après un déploiement de six mois en Bosnie lorsque son vol a été dérouté.